Le Tsunami Omicron : noyade en eau tempérée ?
Federica Palma1 et Sylvain Brisse1,2,*
Membres du comité de Direction de la Section Epidémiologie et Génomique des Populations de la SFM
1 Centre de Ressources Biologiques de l’Institut Pasteur, Paris
2 Unité Biodiversité et Epidémiologie des Bactéries Pathogènes, Institut Pasteur, Paris
* sbrisse@pasteur.fr
Il y a quelques semaines, nous faisions un premier point sur le variant Omicron du virus SARS-CoV-2, peu après son émergence en Afrique australe (lire l’article ici). Depuis, sa distribution est mondiale, et un grand nombre de données scientifiques concernant ce variant ont été rendues publiques. Une chose est claire : même s’il n’est pas plus virulent, la déferlante Omicron aura un impact énorme sur la santé globale.
La nouvelle incarnation du virus SARS-CoV-2
L’émergence du variant Omicron est extrêmement rapide et ce variant tend à remplacer Delta et les autres souches de ce virus, partout dans le monde. Omicron s’est répandu rapidement en Afrique du Sud : en quatre semaines, il est passé de <1% à près de 100% des infections. En Europe, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) estime que Omicron deviendra dominant au début de l’année 2022 (rapport ECDC), y compris en France, où il représente déjà plus de 10 % des nouvelles infections confirmées. Le pourcentage de cas Omicron détectés aux USA dépasse déjà 70% (Topol, Twitter), et ce variant est désormais largement dominant au Royaume-Uni. Il a été détecté dans plus de 87 pays dans les trois dernières semaines.
En France, le taux d’incidence a déjà dépassé ceux des pics épidémiques des trois vagues précédentes, atteignant plus de 500 cas pour 100 000 habitants en date du 20 décembre (source mise à jour : Santé Publique France). Ce chiffre est le plus élevé qu’on ait connu depuis début 2020, reflétant l’extrême rapidité de la diffusion du variant Omicron dans la population. Les modélisations de la dynamique épidémique, qui prennent en compte, entre autres, le temps de doublement du variant Omicron (estimé de 2 à 3 jours), indiquent qu’à ce rythme, le nombre de nouveaux cas par jour en France dépassera la centaine de milliers d’ici à la fin de l’année 2021.
Un variant… qui varie
Trois branches phylogénétiques distinctes, ayant leurs caractéristiques propres, ont déjà divergé à partir de l’ancêtre d’Omicron : BA.1, BA.2 et le très peu détecté BA.3 (Nextstrain, Twitter). Une sélection positive témoignant d’avantages sélectifs a eu lieu sur six gènes du virus depuis la séparation des lignées BA.1 et BA.2, dont le gène de la spicule (Viana et al., medRxiv). Un événement de recombinaison génétique est soupçonné d’avoir contribué à cette évolution. Une piqûre de rappel que les virus évoluent en permanence, et sont aveugles aux dégâts qu’ils causent chez leurs hôtes.
Une transmissibilité très nettement accrue
Les données recueillies dans le monde entier montrent clairement que Omicron est hautement transmissible et se propage plus rapidement que les variants précédents. Selon des données préliminaires provenant de l’Afrique du Sud, Omicron aurait un avantage de croissance de 0,24 par jour par rapport à Delta. Cela correspond à une multiplication par 5,4 du nombre de cas par semaine par rapport à Delta (Viana et al., medRxiv). La souche originelle du SARS-CoV-2 avait un taux de reproduction de base (R0, le nombre de cas secondaires moyen par cas dans une population non immunisée) de 2,5 tandis que le variant Delta avait un R0 d’un peu moins de 7. Le R0 de Omicron pourrait atteindre 10 (The Lancet Respiratory Medicine).
Tom Frieden, ex-directeur des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des Etats-Unis (CDC), explique qu’il n’a jamais rien vu de tel que la vitesse de diffusion d’Omicron en 30 ans de travail sur des épidémies de maladies infectieuses : « C’est aussi infectieux que la rougeole qui se propage dans une population non immunisée, avec un temps d’incubation beaucoup plus court et donc un temps de doublement beaucoup plus rapide. » En effet, le nombre de cas d’Omicron double tous les 2 ou 3 jours, alors que Delta et autres variants précédents ont une période d’incubation de 4 à 5 jours (Eurosurveillance). Une telle vitesse de propagation complique les efforts de contrôle (Tom Frieden, Twitter). La recherche des contacts fonctionne bien s’il y a environ une semaine entre une infection et la suivante, mais il est très difficile de la faire fonctionner s’il n’y a que 2 ou 3 jours entre les infections (The Lancet Respiratory Medicine).
Une virulence tempérée ?
La question est beaucoup plus complexe et longue à résoudre que celle de la transmissibilité. Pour évaluer pleinement la gravité des infections, il faudrait comparer le nombre de cas infectés par Omicron qui aboutissent à une hospitalisation ou à un décès (ou avec une granularité plus fine, certaines variables cliniques), avec les chiffres équivalents d’autres variants. Mais il est encore très tôt: la mortalité est définie comme le décès dans les 28 jours suivant le diagnostic, et Omicron a été signalé à l’OMS il y a moins de 28 jours (The Guardian). Une autre difficulté majeure est de savoir si les populations comparées sont comparables, en termes de caractéristiques (âge par exemple) et d’immunité acquise soit par les vaccins, soit par les infections précédentes. Les premières données d’Afrique du Sud ont montré que les symptômes de personnes infectées par Omicron sont généralement légers et que ce variant a entraîné un taux d’hospitalisation plus limité par rapport à Delta, mais le jeune âge de la population de ce pays et le fort taux d’infections antérieures doivent rendre prudent sur la généralisation de cette observation. Au Royaume-Uni, d’après une analyse préliminaire menée par les chercheurs de l’Imperial College London, ce variant ne se montre pas plus virulent que Delta… mais pas moins non plus (voir Growth, population distribution and immune escape of Omicron in England). Même si un consensus semble se dégager que Omicron a une sévérité probablement légèrement plus faible (Roby Bhattacharyya, Twitter), il faut rester prudent sur cette affirmation, et attendre les résultats d’études plus complètes comparant l’impact clinique des variants Omicron et Delta sur la même période, dans les mêmes populations.
Un échappement partiel à l’immunité naturelle et vaccinale
Étant donné les nombreuses différences de structure de la protéine de spicule de Omicron par rapport aux variants précédents, il a été immédiatement craint qu’il puisse échapper à la réponse immunitaire vaccinale ou induite par des infections antérieures. Et en effet, une étude coordonnée par l’Institut Pasteur vient de montrer que les anticorps de personnes vaccinés ont une capacité réduite à neutraliser Omicron : il faut de 5 à 31 fois plus d’anticorps pour neutraliser Omicron que Delta. La perte d’efficacité des anticorps contre Omicron est aussi évidente chez les personnes infectées dans les 12 mois précédents (Planas et al., bioRxiv).
Néanmoins, après une troisième dose de vaccin (test effectué avec Pfizer), ou l’injection d’une dose de vaccin chez les personnes ayant fait antérieurement une infection, les taux d’anticorps augmentent à un niveau suffisant pour neutraliser largement Omicron (Planas et al., bioRxiv). Par ailleurs, une perte d’efficacité du vaccin contre Omicron ne signifie pas une perte de protection contre les formes graves. Enfin, la réponse immunitaire cellulaire est moins affectée par la variation d’Omicron (The Lancet Respiratory Medicine). Cet échappement partiel à l’immunité contribue à la diffusion de Omicron dans les populations vaccinées, qui le freinent néanmoins en partie.
Compte tenu de sa divergence antigénique avec les variants précédents, les fabricants de vaccins pourraient être amenés à mettre au point des vaccins adaptés à Omicron. Cela prendrait a minima trois mois, ce qui est trop long pour répondre à la crise aiguë actuelle. Un tel vaccin posera par ailleurs de manière accrue la question de l’équité vaccinale à l’échelle internationale, avec un risque de déporter dans les pays à faible ressources des doses vaccinales devenues moins adaptées à la situation causée par la diffusion de Omicron.
Un impact énorme sur la santé publique globale?
Même s’il était légèrement moins virulent, Omicron aura un impact énorme sur le système de santé de la plupart des pays, à cause de sa vitesse de propagation fulgurante. Celle-ci implique une augmentation très rapide du nombre de personnes infectées, et même si le taux d’hospitalisation était moins élevé avec ce variant, son incidence nettement supérieure implique mathématiquement une augmentation des hospitalisations (Topol, Twitter).
Alors que Omicron érode la résistance de systèmes de santé déjà épuisés par deux ans de crise, il faudra déployer toutes les armes à notre disposition. Les vaccins devront être distribués plus largement, et devront être associés à des mesures de contrôle complémentaires telles que la limitation des rassemblements (dans lesquels Omicron a démontré qu’il excelle à se propager), l’obligation de porter un bon masque (masques recommandés par le gouvernement), l’amélioration de la ventilation et le travail à domicile. Ensemble, ces mesures contribueront à ralentir et réduire la vague d’infections par Omicron, et permettront de gagner du temps pour que les systèmes de santé restent à flot.