La chimiothérapie anticancéreuse peut influer sur la résistance aux antibiotiques
Claire Amaris Hobson1, Stéphane Bonacorsi1,2, Olivier Tenaillon1, André Birgy1,2
1Université de Paris, IAME, INSERM, F-75018 Paris, France
2AP-HP, Hôpital Robert Debré, Service de Microbiologie, F-75019 Paris, France
Les données de Santé Publique France 2019, estiment à 382 000 le nombre de nouveaux cas de cancer (tumeurs solides) en 2018, en hausse chaque année.
Les patients atteints de cancer et traités, sont souvent immunodéprimés, donc plus sujets aux infections (1). Compte tenu de leur parcours dans les systèmes de soins (2), ils sont aussi fréquemment porteur de bactéries multi-résistantes.
En cas d’infection, la résistance des souches bactériennes aux antibiotiques, peut compliquer la prise en charge. La fréquence et le type de résistance dépend de l’épidémiologie locale, d’où l’importance d’un lien étroit entre les cliniciens (oncologues, infectiologues) et les microbiologistes, pour optimiser la prise en charge en cas d’infection chez ces patients.
Les chimiothérapies anticancéreuses font parties de l’arsenal thérapeutique dans le traitement des cancers mais leur action sur les cellules cancéreuses n’est pas spécifique. Ainsi, l’impact sur les cellules du système immunitaire mais aussi sur d’autres cellules à renouvellement rapide est non négligeable et à l’origine de la majorité des effets indésirables.
Or, les bactéries peuvent être comparées à des cellules à renouvellement rapide car leur temps de génération est très court. On peut alors supposer un impact potentiel de certaines molécules anticancéreuses sur ces organismes procaryotes. Cet effet potentiel est corroboré par plusieurs observations et notamment une modification du microbiote intestinal chez les patients sous chimiothérapie (3–5) ainsi qu’un effet antibiotique de certaines molécules anticancéreuses et inversement (6,7).
Récemment, une équipe de Besançon (8) a montré un impact des chimiothérapies anticancéreuses sur l’induction du système SOS bactérien associé à une augmentation du taux de mutants résistants à certains antibiotiques après culture en présence de molécules anticancéreuses.
En utilisant diverses souches cliniques d’entérobactéries productrices de carbapénémases de type Klebsiella pneumoniae carbapenemase (KPC), Hobson et al (9) a montré (avec une variabilité en fonction des isolats et des molécules) une augmentation de la fréquence de mutants résistants en présence d’anticancéreux et notamment à la ceftazidime-avibactam qui constitue une des rares options thérapeutiques pour le traitement d’infections causées par des Entérobactéries productrices de KPC.
En associant les facteurs de risques d’infection liés à l’hôte aux risques de portage de bactéries multi-résistantes, les patients atteints de cancer sont plus à risque d’infection avec des germes résistants. Si à cela s’ajoute l’augmentation de la fréquence d’apparition de mutation de résistance chez les bactéries suite aux traitements (antibiothérapies et chimiothérapie anti-cancéreuses) ; la prise en charge peut s’avérer plus compliquée.
Les cliniciens et les microbiologistes doivent alors envisager de limiter l’utilisation concomitante de certaines associations de molécules (anticancéreuses et antibiotiques), lorsque cela est possible, ou d’utiliser de nouvelles stratégies thérapeutiques, telles que des associations d’antibiotiques pour pouvoir traiter ces patients en cas d’infections et ainsi limiter l’émergence de résistance (9,10).
BIRGY André andre.birgy@aphp.fr
MCU-PH bactériologie Hôpital Robert-Debré, Paris
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