Alerte sur les tests de microbiote fécal

Tribune – Tests de microbiote fécal : « Le déséquilibre observé chez un individu ne peut pas être extrapolé à d’autres »

Un collectif de médecins informe qu’actuellement aucune connaissance ne permet de poser des diagnostics et d’interpréter avec exactitude les paramètres du microbiote.

 

Crédit @LeMonde

Forts de l’engouement du grand public pour le microbiote, des laboratoires de biologie médicale ou des sociétés « spécialisées » proposent des tests de microbiote fécal à des tarifs élevés. Ces tests, réalisés sur des autoprélèvements de selles, sont présentés comme un examen biologique approprié pour une première évaluation approfondie du microbiote intestinal avec la promesse de fournir des données qu’un médecin pourrait exploiter. Les résultats sont parfois accompagnés de conseils thérapeutiques dits « personnalisés », basés sur les résultats obtenus. Certains laboratoires vont même jusqu’à proposer des thérapies « régulatrices » promettant la « revitalisation du corps et le retour à la santé », alors que ni l’efficacité ni l’innocuité de ces thérapies ne sont, à ce jour, formellement démontrées.

En réalité, de nombreux défis sont encore à relever avant que ces « tests microbiote » puissent être reconnus comme un examen de biologie médicale. Selon le code de la santé publique, un examen de biologie médicale est un « acte médical qui concourt à la prévention, au dépistage, au diagnostic ou à l’évaluation du risque de survenue d’états pathologiques, à la décision et à la prise en charge thérapeutiques, à la détermination ou au suivi de l’état physiologique ou physiopathologique de l’être humain, hormis les actes d’anatomie et de cytologie pathologiques ».

Les données scientifiques ont permis d’établir l’importance d’une alimentation équilibrée, des associations entre le microbiote intestinal et certaines pathologies, et l’influence du microbiote intestinal sur l’efficacité de certains traitements, notamment anticancéreux. Cependant, il n’a pas été démontré à ce jour que la seule connaissance du microbiote d’un individu était suffisante pour améliorer sa santé ou même prévenir une maladie. De la même manière, de nombreuses corrélations ont été établies pour d’autres microbiotes (cutané, vaginal, oral, respiratoire…) avec différentes maladies, mais aucune connaissance ne permet actuellement de poser des diagnostics et d’interpréter avec exactitude les paramètres du microbiote.

L’écueil fondamental des « tests microbiote » réside dans notre incapacité actuelle à définir précisément ce qu’est un microbiote sain. Plusieurs études, impliquant un large éventail de volontaires, ont révélé que la variabilité du microbiote intestinal chez les individus en bonne santé est considérable, liée notamment au mode d’alimentation. En fait, une grande partie de cette variabilité, à hauteur de 85 %, reste inexpliquée et le déséquilibre du microbiote intestinal observé chez un individu ne peut pas être extrapolé à d’autres.

De plus, il est devenu évident qu’il n’existe pas une seule configuration du microbiote nécessaire pour maintenir un état physiologique sain, mais que plusieurs configurations peuvent être compatibles avec la bonne santé. La définition d’un microbiote sain, en apparence simple, se révèle être un défi complexe qui nécessite des données précises à large échelle, tout comme les autres paramètres en biologie médicale.

La notion de valeurs de référence est cruciale pour tout paramètre de biologie médicale. Les mesures biologiques varient d’un individu à l’autre, mais restent dans des limites spécifiques chez les individus en bonne santé. L’interprétation des résultats chez un patient dépend donc des intervalles de référence propres à chaque paramètre. Les recommandations internationales, telles que celles de l’International Federation of Clinical Chemistry and Laboratory Medicine et du Clinical and Laboratory Standards Institute, guident la production et la présentation de ces valeurs de référence, généralement sous forme d’un intervalle défini par des limites.

Il est cependant important de noter que ces valeurs peuvent varier en fonction du sexe, de l’âge et, parfois, de l’origine ethnique. En cas de chevauchement significatif entre les valeurs observées chez les populations en bonne santé et celles chez les patients atteints de maladies, le test devient cliniquement non informatif. En matière de microbiote, la problématique se révèle bien plus complexe. En effet, le microbiote est une entité dynamique, influencée par de nombreux facteurs (âge du patient, sexe, ethnie, mode de vie, régime alimentaire, traitement médicamenteux…).

En accord avec l’alerte donnée par la Société nationale française de gastro-entérologie (SFNGE) soulignant l’absence d’utilité clinique des tests basés sur l’analyse du microbiote intestinal, nous rappelons :

  • qu’un test biologique doit avoir pour objectif principal d’apporter au médecin des informations fiables et utiles à la prise en charge du patient selon des recommandations établies ;
  • que de nombreux travaux sont encore nécessaires avant de pouvoir transformer ces « tests microbiote » en véritables analyses de biologie médicale ;
  • qu’il est nécessaire que des études sur de larges cohortes (malades et témoins) soient réalisées avant de pouvoir valider et proposer ces tests. Ceux-ci seront, dans tous les cas, des analyses spécifiques à une pathologie et prescrites pour une question clinique définie ou orientée ;

qu’en l’état actuel des connaissances il n’est pas recommandé d’utiliser ces tests à titre individuel pour les patients, au risque de susciter de faux espoirs, ou, pis, d’orienter sur des pistes thérapeutiques non adaptées et potentiellement nocives.

La Société française de microbiologie (SFM) souligne son intérêt fort pour toutes les initiatives de recherche qui permettront, dans le futur, de consolider les connaissances et de déterminer la place des « tests microbiote » dans le diagnostic des patients.

Les signataires :
Corentine Alauzet, CHU de Nancy, service de microbiologie, groupe de travail « microbiome et métagénomique clinique » (MicMaC) de la Société française de microbiologie (SFM) ; Olivier Barraud, CHU de Limoges, service de bactériologie-virologie-hygiène, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Françoise Botterel, AP-HP hôpital Henri-Mondor, service de parasitologie-mycologie, présidente de la Société française de mycologie médicale (SFMM) ; groupe de travail MicMaC de la SFM ; Sonia Burrel, CHU de Bordeaux, service de virologie, présidente de la SFM ; Christophe Burucoa, CHU de Poitiers, service de bactériologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Bernard Castan, CH de Périgueux, service de maladies infectieuses et tropicales, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) ; France Cazenave-Roblot, CHU de Poitiers, service de maladies infectieuses ; Laurence Delhaes, CHU de Bordeaux, service de parasitologie-mycologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Guillaume Desoubeaux, CHU de Tours, service de parasitologie-mycologie ; Tatiana Galperine, CHUV de Lausanne, service de maladies infectieuses, vice-présidente du Groupe français de transplantation de microbiote fécal (GFTF) ; Bertrand Hanslik, gastro-entérologue, Montpellier, président de la Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE) ; Christophe Hennequin, AP-HP, Hôpital Saint-Antoine, service de parasitologie-mycologie ; Geneviève Héry-Arnaud, CHU de Brest, service de bactériologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Laurence Josset, Hospices civils de Lyon, service de virologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Nathalie Kapel, AP-HP, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, service de coprologie fonctionnelle ; David Laharie, CHU de Bordeaux, service d’hépato-gastro-entérologie et oncologie digestive ; Jérôme Le Goff, AP-HP, hôpital Saint-Louis, service de virologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Rémi Le Guern, CHU de Lille, service de bactériologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Nicolas Lévêque, CHU de Poitiers, service de virologie ; Maxime Pichon, CHU de Poitiers, service de bactériologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Christophe Rodriguez, AP-HP, hôpital Henri-Mondor, service de virologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Etienne Ruppé, AP-HP, hôpital Bichat-Claude-Bernard, service de bactériologie, groupe de travail MicMaC de la SFM ; Harry Sokol, AP-HP, hôpital Saint-Antoine, service de gastro-entérologie, président du GFTF ; Noël Tordo, Institut Pasteur Guinée, président de la Société française de virologie (SFV) ; Astrid Vabret, CHU de Caen, service de virologie ; Isabelle Villena, CHU de Reims, service de parasitologie-mycologie, présidente de la Société française de parasitologie (SFP).